Extrait #4 - Aux Armes...etc !

Publié le par Mathilde Bourmaud

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Aujourd’hui, je suis sur la route entre l’océan et la campagne. Ente le vivifiant et l’étouffant. J’ai décidé, cet après-midi, de retourner pour la première fois, depuis sept ans de désertion, dans la maison familiale où mon père avait choisi de rester après la rupture conjugale. Une rupture conjugale et familiale ! La preuve en est : nous n’avions, après ce divorce, plus jamais réussi à nous réunir tous les quatre jusqu’à ce que mon père se retrouve dans sa boite, tant disloqués et éparpillés que nous étions.

Par un dernier virage, j’arrive dans la cour qui devance l’entrée de la maison. Les haies semblent avoir été fraichement coupées par le jardinier. Une taille si méthodique qu'elle laisserait suggérer un jardin à l'anglaise et le caractère de son propriétaire. Ah ce cher jardinier ! On peut dire, lui aussi, qu'il les a collectionnées, les remontrances paternelles. Des remontrances auxquelles il semblait même s'être habitué et attaché. Mon père a toujours pinaillé pour un rien et quand ça lui chantait. Souvent pour le plaisir d’énerver son monde mais surtout par provocation d’exister. Un trait de caractère qui comptait autant de défauts, qu’il ne dégageait de « chien » et de charme !

Je gare la voiture à l’abri des commérages, sous les pins toujours aussi bien charnus pour la saison. J’en sors et dès mes premiers pas posés sur les graviers, je titube. Je titube au contact de ces graviers qui ont été pendant de longues années mais indic’ à la sobriété ou l’ivresse de mon père quand il regagnait le foyer. C’était mathématique. Selon le taux d’alcool dans le sang de mon père, la vitesse, à laquelle sa voiture roulait et résonnait sur les graviers, fluctuait. Plus l’arrivée était lente et le son étiré, et plus mon père était ivre. Je ne me suis jamais trompée !

J’emprunte la bute et les escaliers qui mènent à l’entrée et me retrouve enfin face à cette porte. Cette porte par laquelle je suis sortie précipitamment avec ma mère, un soir d’octobre, il y a sept ans, jour pour jour, pour tenter de nous sauver de la folie d’un homme qu‘on ne reconnaissait définitivement plus et qui nous effrayait. Achille, lui, avait déserté la région depuis bien longtemps pour Londres. Il en est revenu, il y a peu, pour s’installer définitivement. Mais, il n’a encore jamais remis les pieds ici. Il n’en a pas besoin, dit-il. A chacun, sa façon de contrôler et gérer son deuil, son passé, ses mémoires. Je finis par franchir ce pas de porte, si symbolique à plus d’un titre. Une sorte de passage dans un autre temps, une autre sphère pleine de remous que représente cette maison. Une maison qui a bercé et tant martelé mon enfance et qui se retrouve désormais vide, sans plus aucun maître à son bord. Je passe de la cuisine au salon, de la salle à manger au couloir. Ce couloir qui desserre les chambres et où mon corps finit par se figer. Je ne peux plus faire un pas de plus. C’est physique ou psychologique. Un peu des deux sans doute. De la pudeur mêlée à un sentiment d’imposture tel un agent immobilier qui vient faire l’état des lieux d’un parfait inconnu, voilà tout !

Je reviens sur mes pas. Les pièces à vivre sont assurément plus respirables. Je balaye de nouveau du regard cet intérieur toujours décoré avec goût et sobriété. C’est dingue ! Tout me semble si étranger alors que rien n’a véritablement changé. Pas même la place de ce fauteuil où j’aimais poser mes fesses dès les talons de mon père tournés. Pas même cette foutue horloge qui me rappelle le temps tant attendu avant de pouvoir partir de ce foutu pays. Pas même cette absence d’âme qui a fini par vider de toute son essence cette foutue baraque ! Nous étions tellement des zombis, tous les quatre, à tenter de cohabiter ensemble et à éviter la malédiction que nous en avions oublié de respirer, vivre, aimer et élever ce foyer au rang de demeure chaleureuse et familiale. Elle pouvait être grande et cossue, pour autant, elle n’était devenue que l’ombre d’elle-même. Elle avait, malgré elle, vécu les arrivées, les saisons, les années et les départs. Elle avait vu grandir, nourrir et mourir. Elle avait été le témoin involontaire de vie, de peines, de larmes, de colère, de crises, de fabulation et de fin. On l’avait posée là et on avait tenté de la remplir, chacun comme on pouvait. Aujourd’hui, elle renferme dans chacune de ses pièces, de ses tiroirs et placards, un tas de souvenirs que je me dois, à présent, de me remémorer, comprendre, puis mettre bout à bout pour accomplir ma mission. Pour poursuivre mon histoire !

Je me rends compte que je me suis tellement projetée ailleurs qu’ici pendant des années, que j’ai besoin aujourd’hui de tout repasser à la loupe. Et bien au-delà de cette mission de cheval fou, j’en ai surtout besoin pour faire connaissance avec cette petite fille qui est en moi depuis ce jour 1 de l’an 0. Désormais de nouveau sur ces terres, je sais que ce chemin va être long et semé d’embuches, de surprises mais peut être de réappréciation.

..."

Publié dans Extraits

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